mercredi 12 août 2009

Lui (10)

Mes doigts sont noircis … Alors, une sensation, qu’il reconnaît, vient peu à peu le saisir et le pénétrer, une sensation qui le fait connaître à lui-même, qui le faire naître dans la peau d’une autre personne, celle du scribouillard, du griffonneur, du noircisseur de papier. Oui, il était temps de se remettre à écrire, de développer les cahiers et les carnets, pour rebrancher ensuite le traitement de texte et d’aligner des lignes parfaitement justifiées. Des lignes pour produire des histoires étranges, banales, touchantes ; des lignes pour le délivrer de lui, pour le nourrir, pour le faire rêver. Comme l’histoire de la petite fille qui se balance dans son jardin, imaginant l’avenir à présent que son père est parti, pour quelques mois ou quelques années, on ne sait pas encore, parti en quête d’aventure et de reconstruction de lui-même. Tout à l’heure, Marina, sa maman, va l’appeler pour le déjeuner et exigera d’elle les mêmes gestes précis pour se tenir à table. Surtout ne pas mettre de jaune d’œuf sur la nappe ! Mais quelle importance de salir cette nappe quand son papa est parti et ne sera pas là pour ronchonner en cœur avec sa mère ! Ensuite, quand tout sera bien avalé, quand tout sera bien débarrassé, elle ira ouvrir le coffre en osier récupéré sur un trottoir un jour de grand débarras et prendra ce vieux cahier abîmé aux pages encore vierges, elle prendra ses feutres et dessinera ce qu’elle porte sur son cœur. Elle désire dessiner à nouveau ces personnages étranges, aux membres longilignes, qui se balancent sur le papier et dont les grands yeux fixent intensément le spectateur. Personnages mouvants et souples qui s’affronteront dans des intermondes à la recherche des valeurs essentielles : le bon aura le dessus sur le méchant. Elle ignore que Marina regarde ses dessins avec des yeux inquiets, cherchant la trace éventuelle de signes précurseurs de mal-être, ne sachant pas s’arrêter à la simple fantaisie de ces lignes étranges. Ce que Marina ressent, le lecteur peut le saisir aisément. Une certaine sécurité dans les gestes du quotidien qui surtout ne doivent pas changer selon les circonstances. Car elle a connu trop de jours où le simple fait de se contenter de mettre une casserole d’eau à chauffer pour les mêmes pâtes au beurre et au sel, et c’est tout comme repas, était déjà une grande victoire sur elle-même, fruit d’une énergie énorme qui se réalise dans du dérisoire. Alors, elle en a acheté des feutres à sa fille Marie pour qu’au moins il y ait quelqu’un qui fasse quelque chose de ces journées terribles. A présent, elle se sent capable de porter le quotidien. Elle se sent capable de marcher dans les mêmes rues, de leur découvrir un visage différent et moins hostile, d’apprécier croiser les gens sans souffrir de sa solitude. Elle se sent capable d’écouter la musique qu’elle écoutait auparavant sans que les larmes ne viennent l’étreindre. L’étreindre … Le mot la fait tressaillir et son cœur se serrer. Elle se sent capable d’oser être elle-même, d’éplucher différents légumes et de cuire une viande parce que sa fille, qui écoute sagement les conseils de sa chaîne télé préférées, aime à dire qu’il faut manger équilibré. Yaourt, fruit ? Magnifique ! Enfin, on va jusqu’au bout sans s’étouffer ! Elle prendra même plaisir à laver la vaisselle ensuite pour laisser la place à la suite. Parce qu’il doit y avoir une suite.
Voilà ce qu’il écrit à présent qu’il est rentré chez lui. Finalement, sentant les mots trop nombreux et pressants, il s’est mis tout de suite à l’ordinateur. 601 mots affiche son écran. Voilà qui est rassurant. Mais rien sur leur valeur. Mais ils valent quelque chose pour moi. Ce sont mes légumes épluchés et bien cuits. Je voudrais trouver l’histoire à raconter qui m’emmène quelque part. J’ai beau regarder cette pelote de laine, seule la nécessité d’écrire me vient, pas encore la suite.

vendredi 8 mai 2009

Je prendrai tous les galets
de la plage quand il a plu
jalousement les garderai
et emplirai le vide ému

Je boirai le silence des galets
jusqu'à la grande source lumineuse
et puis précieusement attendrai
que vienne la construction aventureuse

J'apprendrai la science de ces galets
me griserai de leur couleur valeureuse
bien plus tard me balancerai
à la ficelle de l'amoureuse

dr

mercredi 6 mai 2009

Venir
au détour
du velours
poser
déposer
la main
sur le mur
et sentir
bruire
le coeur
petit moteur
qui s'agite
qui palpite
qui cogne
l'ivrogne
battre
battre
battre
et céder
et s'assoir
s'émouvoir
s'assoupir
se calmer
et rêver
doucement
lentement
facilement
et puis
apercevoir
le trou noir
mais de loin
sans tomber
et en rire
et le fuir
s'acharner
s'acharner
s'acharner

dr

lundi 4 mai 2009

Pour Maïté, retrouvée

Si je buvais la liqueur de tes yeux
Bleus comme le jour, heureux
Comme mon âme, intrépide j'ouvrirais
L'avenir, l'aplanirais et fumerais
Le calumet d'opium pour me persuader
Du bonheur si fragile de te contempler

Si je buvais la liqueur de tes yeux
Le charme ensorceleur vers de hauts lieux
M'acheminerait pour que mon être
Puisse enfanter et puis renaître
A la source de velours lumineux
Source intarissable, ou bien peut-être

Si je buvais la liqueur de tes yeux
Les miens se fermeraient, honteux
Qu'ils seraient d'avoir usé tout ce temps
A poser leurs regards au hasard du vent
Sans discerner la beauté de l'apaisement

Le dernier vers, je te le laisse, je te le donne

dr

Lui (9)

Il se prit à rêver de déambuler dans une autre ville aux avenues larges et royales, au tracé apaisant, où le regard pourrait s'étendre de son long pour laisser aller l'esprit, laisser se forger les émotions qui montent doucement, gouttes en suspension, reflets des mots en dilatation. Une ville suffisamment grande pour s'y lover et se retrouver, pour espérer rencontrer les personnes qui manquent à l'appel. Raconter la cadence des pas qui mènent précisément jusqu'au parc, s'asseoir au bord de l'eau et écouter le bruit du vent sur l'air éphémère de cette croisière imaginaire, écouter le doux clapotement des rames dans les ronds de l'onde, écouter le coeur battre un peu plus fort, et puis, enfin, sentir les mains se serrer sur le sable de l'allée où l'on se serait mollement allongé. Et puis se relever pour partir à nouveau vers ses pensées logées au creux de cafés qui lisent les gros titres, au creux de restaurants qui dépaysent et qui nourrissent patiemment. Une ville où les murs vous parlent de vous-même, de votre histoire collective. Une ville où le détour n'est que contour.
Et puis, l'expression du bois flotté revint encore, semblable à la pelote. Du bois, du fil, de l'écriture en suspension (c'est le contrat, postulat de l'expérience), des mains et des écrans blancs, écrins blancs à colorer de forces vives et écarlates. Ecrire pour relire et ressentir ce voyage qu'il aime tracer sans cesse, qui le rassure et remplace, ou procure, l'ivresse. Voyages pédestres d'une ville à l'autre... Non plus des voyages d'affaire mais des voyages à refaire, intérieurement, patiemment, pierre à pierre, dictionnaire de rêves et d'aléas.
Et puis composer, rassembler tout ça, profiter du regard attentif, du téléphone qui vibre selon les pulsations du coeur, présence rassurante d'amis fidèles.
Tout flotte.
Il aimait marcher et se replier, sur les bancs, pour tout ça.

Delphine Regnard
Petite note
qui court
toujours
autour
de moi
dans sa ronde
exaltante
et m'entraîne
après elle
pour jouer
s'enivrer s'exalter s'élancer
écrire écrire écrire ...
et puis
sourire ?

dimanche 3 mai 2009

les traces de tes pas
approfondissent
et affadissent
le bleu de ma peine
le bleu de ma fièvre
je marche sur des traces
qui ne varient
toujours
pas

mercredi 29 avril 2009

C'est toujours la ligne bleutée
qui mène
le regard au-delà de la courbe
c'est toujours le bois flotté
qui draine
les mots doux les mots d'amour
c'est toujours sur le papier
que j'aime
écrire ces mots
écrire toujours
c'est toujours sur le passé
que j'aime
asseoir le moi
asseoir les voies
Et ce sera toujours vers
le sommet de l'étoile
que je mènerai ces pas flottés
ce sera toujours vers
l'arrête là-haut bien dessinée
que je lèverai l'espoir
l'espoir du retour

dr

mardi 28 avril 2009

C'est à travers les méandres
des vapeurs de flots marins
que j'aimerais circuler
à mon aise, sans frein ...
suivre et poursuivre sans fin
de l'inachevé les chemins
et m'enfoncer progresser
au fond tout au fond
de la pensée de la cécité
bien cachée bien lovée
au fond tout au fond
du flot marin ...
et enfin apercevoir
ce qui ne peut se voir
que lorsque l'on a
tout banni

dr

Rêve

Un matin, se lever et partir
S'armer et parcourir
Les étendues herbeuses
De l'imagination
Au midi, se poser
Pour contempler
Le rouge du sable de la route
Et le soir
Parvenir au sommet
De soi-même
Mais combien il m'en coûte...

dr
Glisser sur les galets
Mouillés
De la plage en été
Admirer le corps bronzé
Et dorer la façade
Réchauffer le corps
En entier
Se laisser aller
Sur la vague
En été

dr

lundi 27 avril 2009

Et je voudrais
montrer
l'immensité de la rouge lagune plate
la parcourir, me dérouler
papyrus papillon
et respirer enfin
le parfum faste
de la mer

dr
Il faudrait
toucher le velours du sourire
danser en rond et en cadence
il faudrait
sentir le doux fou rire
de ton visage en démence
il faudrait
s'évaporer de nuit et puis revenir
s'affirmer et puis se contredire
il faudrait
dessiner la belle fragrance
humer le corps qui danse
il faudrait

croire
et savoir

DR
L'immensité de la rouge lagune plate
Projette ton regard au-delà de ses bornes
Et te dévoile son visage écarlate
Affolant, spirituel et que rien n'écorne

Le souffle se coupe pour monter vers de hauts lieux
Où seul le soleil de tes yeux éclate, ainsi,
Comme lorsque tu ris, rictus affreux
Qui me déchire dans un mouvement infini

L'eau coule sur ton cou pour le sculpter en art
La goutte tombe sur ta pensée et l'effraie
Une vapeur rosée s'élève, trop tard
Impossible de rattraper ce qui effraie

Alors je m'effondre sur la lagune
Cherchant en vain le doux effort
Dorénavant, fumée de brune
S'échappe de moi, sans réconfort

Delphine Regnard

lundi 20 avril 2009

lui (8)

Bon, c'est le moment de croire qu'il va bientôt arriver quelque chose qui va changer le cours des choses. Impossible de réécrire le voyage qui ne doit avoir lieu qu'une fois. Chaque pas est irréversible.
Alors, se dit-il, si j'étais, comme je le devrais, au lieu d'être là à tanguer contre les parois de ma vie, si j'étais en train d'écrire à mon bureau quelques lignes un peu meilleures, je décrirais volontiers le miroir encerclé de bois flotté aperçu aujourd'hui dans une vitrine, parce qu'apparemment le bois flotté parle à un grand nombre, et j'écrirais une rencontre entre moi (lui) et une ancienne connaissance ; cette rencontre serait l'occasion de faire le bilan de la vie de lui (moi) et surtout me permettrait d'oublier cette pelote de laine rouge. Je pourrais alors m'asseoir sur un banc, il faudra penser à insérer un banc, pour enfin soulager mon dos lacéré des coups de la vie. Est-ce que ce soir je pourrai me regarder dans le miroir ?
Mais je ne sais plus écrire tout ce qui me déchire. J'ai beau être en lambeaux, les morceaux restent collés entre eux, par un point d'attache minuscule ; qu'est-ce qui fait que je parviens encore à déambuler dans ces rues, à courir après le stupide projet de retrouver le possesseur de cette pelote ? Je lève les yeux et j'attends qu'il se déclare. Déclare-toi ! Lance-toi ! Déroule-toi ! Comme si tu étais le seul à souffrir, subir, porter et te débattre.
Je voudrais m'asseoir sur ce banc aux angles arrondis, usés par la pluie et les godasses d'adolescents informes se dépliant dessus, un banc centre du monde, témoin de nos passages, un banc de soutien à la vieille dame qui avance encore, un banc de ravitaillement au bébé qui pleure, un banc pour réfléchir et rêver et projeter, un banc pour espérer se lever et avancer.
Depuis quelques instants il repense avec quelle passion il lit depuis quelques jours le quotidien jugé sérieux dans son milieu ; prendre des nouvelles de l'extérieur, est-ce vraiment redécorer son intérieur ? Alors, voilà, je m'assois sur mon banc, je déplie mon dos et mon journal (il aime cette figure de style), je lis, j'attends l'événement, et le crée s'il ne vient pas. Mes doigts sont noircis mais qu'importe.
delphine regnard

mercredi 15 avril 2009

Elle (7)

Des instants, elle en a perdus, dépensés, gaspillés ; le temps, elle le distend, tire dessus, remonte la couverture jusqu’à faire disparaître sa présence et son corps. Elle en a lesté du temps, au fond de sa baignoire, du bout de ses lèvres, en emplissant sa tasse de thé pour la millième fois de la journée, en accrochant son sac sur la corde raide de sa solitude ; elle s’est vautrée dans les jours, les heures, la ténuité des secondes ; elle s’en est repu, remplie, lui a laissé toute la place et même davantage. Alors s’asseoir et demander un nouveau sursis revient juste pour elle a se coucher dans cette inaction qui la protège si bien du monde et des hommes, qui le sépare d’elle, déliant corps/esprit ; ce moment qu’elle se réclame à elle-même est une fois de plus la fuite et l’abandon, elle s’abandonne tranquillement sur le bord de la vie, dans les bras d’une temporalité qui perd toute mesure, toute profondeur. Encore un moment se dit elle, hypocritement, parce qu’elle en arrive à se mentir maintenant. Elle court déjà après sa pelote, elle court dans sa tête après ce fil rouge qui ne peut que la conduire quelque part, ailleurs, car c’est bien ailleurs qu’elle cherche déjà tout en refusant de se l’avouer, se tenant assise dans la cuisine , se faire croire encore qu’elle est arrêtée comme une montre, une horloge s’arrêtent parfois. Elle se ment, devant sa tasse de thé refroidie. Elle veut se faire croire qu’elle n’est pas prête, qu’elle est coincée là, avec sa misère, sauf que c’est trop tard, elle a pris le goût de l’ailleurs, seule issue possible à sa vie.
Julia Billet

vendredi 10 avril 2009

Elle (6)

6)
Revenir en arrière. Retrouver la mémoire, nommer le mal qui la tient si fort accrochée à la chambranle du présent. Elle a tellement pris l’habitude de ce magma gluant qui l’habite , matière indéterminée où les souvenirs se chevauchent, se superposent jusqu’à l’oubli, qu’elle ne sait plus par quel bout attraper le fil. Fil rouge. Tiens, étrange coïncidence, était ce donc le sens de ce détricotage ? Elle sourit à l’idée de cet inconscient qui trouve les gestes avant les mots. C’est bien ce même geste qui devrait l’amener à détramer le drame qu’elle entretient avec ferveur depuis tant de jours. Fil rouge. Sera-t-elle capable de mettre la main dessus. Elle a balancé la pelote par la fenêtre, est-ce le signe de son abandon, ou bien de sa lassitude peut-être. Jeter l’éponge, jeter la boule qui la retient dans ses filets, jeter cette masse d’elle qui la leste, l’arrime au sol des mots, se dégager du fil rouge. elle a beau fouiller , elle ne sait plus comment tout cela a commencé. Une histoire d’amour, oui bien sur. Elle a mal fini. Les histoires d’amour finissent mal en général dit la chanson. Un dérapage, un mot de trop ou peut-être plus de mots justement, oui, c’est cela, elle se souvient un peu ; le silence entre eux comme un couperet. Têtes tombées, plus un murmure, même plus de silence, le vide. Un grand vide. Corps séparé de l’être ; l’un séparé de l’autre. Un amour décousu , filé, comme un collant éraillé, bon à balancer par-dessus la jetée. Elle ne sait pas à quel instant tout a chaviré. Elle ne sait pas si c’est ainsi que tout a commencé, elle ne sait plus grand-chose du dérèglement initial. Son thé a refroidi. Pas grave, elle boit le thé brûlant mais aussi celui qui s’est endormi au fond de la théière de fonte bleue. Dehors, le ciel est bas, elle se penche à la fenêtre. Un homme marche en levant la tête vers elle. il lui semble qu’elle l’a déjà vu. Elle se détourne de lui et va s’asseoir dans la cuisine. Encore un moment se dit elle, j’ai encore besoin d’un instant
Julia Billet

dimanche 5 avril 2009

Lui (7)

Puis l'idée lui vint de retrouver le chemin de la veille pour réécrire l'histoire. Il rappela les souvenirs du trajet emprunté par le taxi et bientôt il lui sembla se souvenir de la zone où il avait échoué, de cette rue où il avait ramassé cette pelote. Maintenant qu'il y pensait sérieusement à la lueur du jour, la bizarrerie de la chose lui apparut. Il prit le métro pour se rendre de nouveau sur ces lieux qu'il fréquentait rarement parce qu'ils étaient exactement à l'opposé de son quartier.
Quand il émergea de la bouche souterraine, le soleil le frappa mais cette fois, ce coup-là lui fit du bien.
Alors, où es-tu, toi que je cherche ? Que fais-tu ? Comment vas-tu ? Quel est ton visage ? A quoi ressemble ta vie ? Que faire ici ? A quoi bon ?
Il entreprit de retrouver l'endroit précis et examina plus précisément les immeubles aux balcons fleuris pour la plupart, aux entrées armées de digicodes, aux fenêtres double vitrage ; c'était encore une fois les outils de défense qu'il remarquait, alors que la faille se trouvait en nous. C'est bien de l'intérieur que vient le danger, la prise de risque, celle qui fait mal pour longtemps, durablement, sans retour.
Je n'écris pas bien, se dit-il, du narratif, de l'utilitaire, de l'informatif. Et le poétique ? Transformer mes registres en mots. Oui. Mieux que ce voyage bizarre, il y a ce voyage sur la feuille que je ne fais plus jamais.
Une certaine familiarité des lieux le fit s'arrêter, lever la tête ; oui, j'y suis. Mais où suis-je ?
Non, vraiment, il faudrait prendre le temps de réécrire ce voyage. Ou le faire ailleurs.


lundi 30 mars 2009

Elle (5)

Cette incartade dans son emploi du temps si lourdement réglé depuis des semaines, marque pourtant un changement perceptible dans son présent. Sa peau a pris l'air de la rue, s'est empreinte du mouvement infime du soleil, ses jambes ont retrouvé le pas pressé qui l'emportait si souvent d'un quartier à l'autre sans respirer, l'hiver, dans l'envolée de son manteau aux boutons dorés. Elle a repris, sans même s'en apercevoir, le besoin du dehors, la légereté du ciel par dessus sa tête, le parfum des murs des briques asèchées , les pavés sous ses pieds. Même si son estomac l'a trahie, la rappelant à sa souffrance, cette douleur qui la tenaille, l'envahissement des mots disparus, la nuit l'a emportée calmement, dans le silence doux de l'épuisement. Elle se réveille differente sauf qu'elle n'en sait rien encore; Elle croit qu'elle va une fois de plus être sous le joug d'elle même, dans l'effacement du jour, au centre de son corps blessé, elle croit qu'elle va vaguer dans son appartement de la chaise à la chaise, sans autre but que de se laisser dépérir puisqu'elle n'a pas eu le courage de mourir. Elle croit qu'une nouvelle fois, elle se laissera bercer par la mélancolie, d'un thé à l'autre, emmurée dans son intérieur. Elle se trompe car déjà, quelque chose s'est insinuée dans la faille, un je ne sais quoi, un presque rien qui change tout . Elle ne s'en rend pas compte mais ce matin, elle a laissé l'eau couler sur ses cheveux avec une sorte de plaisir tranquille. Elle s'est habillée, à hésité entre deux chemisiers, elle qui ne prend plus le temps ni l'envie de sortir de sa djellaba rayée depuis tant de jours. Si elle était attentive, elle s'apercevrait qu'elle a ouvert la fenêtre et qu'elle s'appuie sur la rambarde du balcon, mais elle fait ce geste là sans même en prendre conscience. Elle s'accroche à la rampe de sa tristesse, à deux mains, mais la tristesse s'étiole dans l'infiniment jour, en filaments encore invisibles. Elle croit que rien ne bouge et rien ne pourra bouger mais elle se souvient de cet homme qui a ramassé sa pelote rouge et se demande s'il pourrait l'aimer. Elle bouge sa tête pour faire fuir cette pensée qui s'accorde si peu à son desespoir. Elle parvient à revenir à ce qui l'occupe tant, la perte de celle qu'elle croyait être avec tant de fermeté de foi de force et conviction. Elle parvient à soulever la vague qui la mouille et la réconforte parce qu'elle la souille : que deviendrait elle sans ses doutes, ses errances, qui serait elle alors ?
Julia Billet

dimanche 29 mars 2009

Lui (6)

Cependant, il referma la porte du frigidaire et alla s'asseoir dans son fauteuil aux courbes maternelles. Une promenade par les rues lui semblait une bien meilleure idée, il s'arrêterait en chemin pour manger un morceau, comme toujours finalement. Il se leva , se prépara et sortit. Au bas de l'immeuble, il leva la tête pour voir à quoi ressemblerait cette journée qui promettait d'être moins pluvieuse que celle de la veille. Il commença à marcher dans ce quartier qu'il connaissait par coeur, les plaques d'égout et les pavés disjoints, les passages piétons dangereux et ceux où les voitures laissaient volontiers traverser les passants, les commerçants fumeurs et les boulangers appréciés aux longues files d'attente sur le trottoir, le magasin de journaux aimable comme ses gros titres, la vitrine toujours alllumée, nuit et jour, pluie et soleil, de la parfumerie. Il marcha ainsi un certain temps jusqu'à un quartier moins connu aux pavillons barricadés derrière des digicodes impossibles. Il aimait constater que parfois une panne laissait à l'inverse entrouvert le portail de prison qui aurait dû protéger du regard et du geste la zone d'habitation. Alors un espace de liberté s'ouvrait au passant qui découvrait avec bonheur la présence d'un potager bien courageux d'oser laisser aller quelques herbes folles, d'un bac à sable prenant la pluie, d'un portique vide puisque, bien sûr, il n'était pas question de laisser aux intempéries le soin d'abîmer le matériel.
Et lui, s'il ouvrait ses portes de prison, qu'avait-il à laisser voir ? Quelles herbes folles s'agitaient doucement dans son parterre informe ?

DR

samedi 21 mars 2009

lui

Le lendemain, la présence de ce lambeau de laine informe lui apporta une certaine satisfaction, comme l'idée vague d'avoir donné une allure, même lâche, à un fil qui se défaisait ; il faudrait, pensait-il, retrouver l'endroit de la laine pour retrouver l'auteur du forfait. Et rendre la pelote recomposée.
En attendant, il se sentait mieux qu'il n'avait été depuis longtemps. Que faire aujourd'hui d'un peu neuf ? Ecrire enfin un texte satisfaisant qui le changerait des écrits professionnels et par trop codés ? Le spectacle de son frigo le ramena à la réalité et il repensa à la chanson de Grandcorpsmalade sur les célibataires, à ceci près que dans le sien, absolument plus rien ne se battait en duel. Au moins, il avait un but urgent et précis et surtout confortable, car l'activité était justifiée et sa réalisation le serait aussi.
(à suivre)
DR

jeudi 19 mars 2009

Elle (5)

(...son port d’attache) trop rapidement. Elle finit par retrouver son quartier, puis le fleuriste où jadis elle s’arrêtait pour acheter un bouquet léger et coloré. Elle jette un regard sur les camélias en fleurs, les tulipes jaunes, les inévitables roses orangées mais ne retrouve pas le désir de toucher les pétales, de mettre son nez dans leur cœur. Elle est fatiguée tout à coup, les souvenirs reviennent, lui donne une nausée qui lui est familière, cœur soulevé, souffle écourté, l’estomac replié sur lui-même, elle ne pense plus qu’à revenir dans l’ombre de son appartement, grimpe quatre à quatre les marches, fouille dans son sac cherche ses clés, ne les trouve pas, cherche encore, enfile sa clé dans la serrure, jette son sac, se précipite aux toilettes, se penche et vomit le trop plein de tristesse qui la submerge. Elle se met à genoux, remonte ses cheveux et laisse remonter la gerbe de son ventre par à coup, jusqu’à ce que plus rien ne sorte de son corps. Elle se relève, renvoie ses cheveux en arrière, essuie son visage, sa bouche, va se faire chauffer de l’eau pour un thé. Elle est épuisée de tout ce air qu’elle a aspiré au dehors, de ce soleil qui la enlacée ; elle est fatiguée d’elle et se souvient qu’elle n’a plus le gout de vivre. Son escapade l’a distraite de son mal quelques heures, elle ne sait même pas quelle force l’a poussée au dehors, sauf peut-être l’image de cet homme qui a ramassé la pelote, mais quel sens, quelle signification à cela ? Elle s’est précipitée, appelée par le printemps du petit matin et est revenue à la case départ, affublée de son mal qui la vide de tout ce qui pourrait être rationnel, comptabilisable, crédible. Boire un thé, s’asseoir dans sa cuisine, sur son tabouret qui l’oblige à monter d’un cran dans la réalité, poser ses coudes et prendre sa tête dans ses mains en se demandant une fois de plus : qu’est-ce que je fais, qu’est-ce que je veux ?
Julia Billet

mercredi 18 mars 2009

Elle (4)

Ce matin, elle s’est éveillée en cherchant les derniers mots de son sommeil. Pas un bruit pourtant, elle ne se souvient, de rien. Elle a pourtant appris ces dernières semaines à guider ses rêves, à dompter les bouts de nuits qui veulent bien d’elle, mais là, ce matin, rien. Elle n’aime pas cette idée d’avoir échappé à sa surveillance, à son attentive attente, elle a tellement peur de s’égarer qu’elle voudrait être présente à chaque instant, ne pas perdre la main. Elle s’étonne malgré tout un peu, s’étire et se dit qu’elle est presque reposée, cela ne lui est pas arrivé depuis plusieurs mois. Les insomnies lui mangent ses nuits, s’allongent à ses côtés et la poussent au bord du lit ; elle a oublié qu’elle peut ne pas être fatiguée, dés le petit matin. C’est peut-être cet infime changement qui lui a donné envie de sortir aujourd’hui, de s’habiller, elle qui ne quitte plus sa djellaba rayée noir rouge bleu. Elle soulève le rideau, le soleil est déjà presque haut, déjà chaud. Elle s’anime, se brosse les cheveux dans la salle de bain , attrape sa robe rouge, la passe, cherche ses ballerines, les blanches, tire la porte, revient en arrière chercher ses clés, son sac à main et enfin, ferme la porte derrière elle. Elle dévale les escaliers, comme quelqu’un de pressé, elle l’est, dans le désir du soleil sur sa peau nue. Dans la rue, elle s’arrête un instant, s’immobilise, surprise par la lumière crue, la touffeur de l’air, hésite un peu sur la direction à prendre, elle ne sait plus pourquoi elle est descendue, ce qu’elle vient faire dans la rue. Elle tourne à gauche, songeant à l’homme qui a ramassé sa pelote. Elle ne réfléchit pas mais suit son intuition, et aussi l’air du temps. Elle ne se rend pas compte qu’elle n’a pas un instant, depuis son réveil, pensé à ce qui l’occupe depuis tous ces jours. Elle est en phase d’oubli et elle ne le sait pas encore. Elle marche d’un bon pas, suit le trottoir, marche encore, sans penser un seul instant qu’elle ne pense pas, qu’elle respire l’air, sans en avoir l’air. Il faudrait peu pour qu’elle chantonne, sauf que même à cela, elle ne pense pas. Elle marche tant, si vite, qu’elle s’éloigne de chez elle, qu’elle s’éloigne d’elle, pour la première fois depuis des semaines. Elle s’éloigne tant, que quand elle décide de s’arrêter, elle s’aperçoit qu’elle est perdue. Elle décide ne pas demander son chemin, pour pouvoir se perdre encore un peu, être désorientée, et ne pas retrouver son port d’attache
Julia Billet

dimanche 15 mars 2009

Elle (3)

Elle ressasse. Depuis des semaines, elle tourne sur elle-même, s’enroule autour de sa lassitude, de ses questions. Force centrifuge qui l’attire au centre, emportée par le poids de son attente. Elle ne sait plus comment sortir de cette aspiration qui la dévore, de l’intérieur, sans lui laisser le temps de compter le temps, de mesurer l’absence. Comme si plus rien d’autre ne la tenait au monde que cette boucle tourbillonnante qui l’emporte au fonds de l’eau, la laisse dans la transparence marine, étouffée par le manque d’air, enivrée par le sel et l’opacité, empêtrée dans les bruits diffus du dehors ; elle vit dans cette sensation sous marine depuis presque un mois, aplanit les bruits des voitures de la rue, celui des canalisations qui grondent quand le voisin du dessus tire la chasse d’eau, oreille voilée comme si elle portait des boules Quies, entendre au loin le quotidien, ne plus lui appartenir et fuir l’instant, elle est dans des limbes profondes qui l’isole d’elle, du téléphone qui sonne de temps en temps (une amie inquiète ? sa mère, malade ?), de son appartement, qui pourtant la protège des autres et de l’air frais, du printemps qui arrive doucement, alors qu’elle ne rêve que d’hibernation, d’avalanches de neige, du froid qui endort lentement ; elle se sent bien dans cet enchevêtrement d’hésitations, de retours en arrière. Ne voudrait pour rien, pour personne qu’on l’empêche de souffrir ce cette façon là. Elle passe ses jours autour d’elle-même, se met au centre, prend des détours, des circonvolutions et jouit de la complexité de ses sentiments, de l’impossible dans lequel elle évolue avec une certaine grâce, imagine t’elle. Elle ressasse comme on suce un bonbon, jusqu'à se râper la langue, jusqu’à l’écœurement, dans le plaisir de saliver le sucre fondant, la friandise entêtante de tant de douceur. Elle est au centre d’elle, n’a plus envie de se quitter, de peur peut-être de se perdre dans l’immensité de ses questions. Pourtant, elle a dans son geste de jeter la pelote de laine, ouvert sa fenêtre sur le dehors, regardé un homme inconnu, s’est demandé pourquoi il emportait la boule rouge, sans même lancer un regard sur elle, et dans ce mouvement absurde, elle a quitté le cercle qui la protège depuis tous ces jours. Son ressassement se voit déjà contraint à s’éloigner d’elle qui ne peut s’empêcher de chercher le sens, le signe de cet écheveau perdu, ramassé, récupéré, pour quoi, par qui ? Elle s’absente sans encore s’en rendre compte, se demandant ce qui l’a poussé à défiler ce pull, qu’elle porte depuis des années, cadeau d’une tante morte depuis peu ; elle s’emmêle dans le souvenir de cette vieille femme qu’elle aimait bien et dans les mailles de ses questions qui abandonnent ce qui la tient dans ses incessantes répétitions. Elle ne s’en rend pas encore compte, mais elle est déjà en partance vers ailleurs, elle quitte l’antre qu’elle a construit avec patience, dans une douleur douce qui n’appartenait qu’à elle, dont elle prenait soin, qu’elle bichonnait pour être sure de ne pas oublier, de ne rien omettre de la brulure qui la taraude avec une telle acuité.
Julia Billet

vendredi 13 mars 2009

silence (2)

Ce qu'il aimait dans ce geste, c'était de ressentir le son du stylo sur ce papier dont le grain faisait grincer la plume et ralentissait la main, et lui présentait la contradiction. Le geste prenait plus d'importance et de beauté que la fiction. Surtout, il se rendait compte qu'il était encore sensible à ce grincement, infime, lui qui peu à peu devenait infirme, se repliait dans son silence profond et intérieur parfois insupportable à en dévaler des kilomètres de rues.
Il fallait écrire, impérieusement, ces mots, pour trouver l'histoire qui permettrait de faire danser le phrasé des verbes inclassables. Le regard se promenait en vers sur la feuille, allers et retours dont la régularité de charrue assurait une paix bienfaisante. Mais les mots ne devaient pas se réduire à un processus d'apaisement, de déversement, de divertissement. Les mots avaient à construire aussi une histoire parallèle, calque et décalque de la réalité ressentie, perçue, analysée. C'est la pelote de laine transformée en lambeau qui lui avait redonné cette envie de tenir le stylo penché sur la blancheur de la feuille pour s'attacher à décrire l'arrête du canapé dont la couleur formait une harmonie avec le bois flotté de la lampe. Ou bien, il imaginait des scènes particulières pour des personnages éventuels : une fillette assise, sur un banc au petit matin, adossée au mur de pierres du grand-père, qui écoutait le rythme de la nature au lever du soleil alors que le paysage se découvre tel qu'en lui-même ; et cette fillette, pas encore capable de dévoiler à sa conscience ces sensations infimes et précieuses, était cependant à même de ressentir et d'accueillir le monde au creux de son ventre, de ses poumons, de son coeur ; et le mouvement en balancier des jambes accompagnaient l'éveil des alentours qui devenaient paysage, tout doucement. Elle jetait des miettes aux poules et fixait le mouvement sec et rapide des oiseaux venus picorer à ses pieds. Et le contraste entre le mouvement des cous et jambes et le lever de la nature lui était agréable à tracer sur ce papier sonore.
Delphine Regnard

jeudi 12 mars 2009

Silence

Il fallait de façon impérieuse écrire les mots qu'on pouvait de moins en moins dire... Il tentait tant bien que mal de cacher la progression de ce mal, mais plus le temps passait et plus il emportait dans le passé les moments où il pouvait entendre. L'audition baissait inexorablement et le plus inquiétant était qu'il s'y habituait, s'en satisfaisait, et même parfois s'en réjouissait. Il y avait eu le mythe de l'aède aveugle, à son tour il érigerait sa propre histoire, sa propre version des faits, sa propre vision, forcément, de la vie et de ses mouvements, qu'il prendrait comme prétexte à ses compositions. Il faudrait créer le son d'une autre façon, donner aux images toute leur valeur. Il faisait souvent l'expérience de s'immerger, à la piscine, le dimanche, entre des enfants criards et babillards. Les sons lui parvenaient alors transformés, adoucis, incompréhensibles, presque imperceptibles ; le monde prenait une dimension nouvelle et apaisante et il se sentait attiré par cette sensation comme on se sent attiré inexorablement vers l'addiction, dans toutes ses chimères. Et quand il émergeait, l'eau contenue encore de façon minime poursuivait la sensation, cassait la symétrie sonore des deux oreilles ; la tentation était grande alors de replonger pour retrouver un calme apaisant, pour laisser aller le corps et ses perceptions à des figures nouvelles. Mais il prenait le temps de rester là, les oreilles à moitié dans l'eau et souriait de ce sourire qu'il avait lu dans Ovide.
De nouveau devant sa table, au moment de tracer les mots, il se rappelait cette pelote de laine, silencieuse au possible et qui lui avait dit quelque chose pourtant, ce soir. Qui lui avait permis de communiquer malgré lui avec quelqu'un (d'ailleurs, où était-ce ? Serait-il possible, par hasard, de retrouver l'adresse ? et pour quoi faire ?). Que faisait cette personne à présent ? Regrettait-elle ce geste, son objet ? L'avait-elle vu ? Il n'avait as eu l'idée de lever les yeux, tellement rivés au bitume.
Alors il se leva, alla ouvrir le placard de l'entrée où traînait un vieux carton rassemblant les dernières affaires de la femme qui avait bien voulu l'accompagner un temps, il en sortit des aiguilles assez grosses, revint vers la pelote et monta les mailles (invraisemblable, hein, qu'un homme sache monter des mailles !) et commença un carré, pour voir où les mailles, à défaut des mots, le mèneraient.
Bien, il se retrouvait, là, assis sur le tabouret jamais loin de son bureau pour les besoins habituels (les dossiers les plus intéressants sont toujours trop hauts), en train de tricoter, répétant pour la première fois depuis longtemps les gestes que sa grand-mère, un été particulièrement rempli d'ennui, lui avait appris, par jeu. Il avait tricoté plusieurs écharpes mais l'effet produit avait été trop gênant, l'effet produit par l'annonce de l'auteur de l'écharpe ; apparemment tricoter était une tâche encore sexuée pour longtemps. Le carré initial devint rapidement un rectangle puis une bande puis il prit l'allure vague d'une écharpe. Je suis en train de me tricoter l'écharpe de la publicité... Bravo la soirée créative, réussie ta soirée...
Il mit du temps à se rendre compte du silence, de l'apaisement procuré par ce silence, de la décontraction trouvée par hasard. Alors des nuées d'idées vinrent se poser sur les linéaments de son esprit. Le caractère insolite de la situation le frappait avec acuité. Il ne prit pas le temps de boire du thé, et se laissa aller à ce tricot, pauvre métaphore, fragile, ratée, et pourtant.
Il revint enfin s'asseoir à son bureau et écouta, cette fois-ci, de toutes ses oreilles (il aimait cette expression qui avait pour lui l'allure de l'éléphant). Il écouta les bruits de son coeur, il écouta les souvenirs venir frapper à sa porte, les douloureux comme les autres. Il écouta sa tristesse profonde et la laissa s'exprimer davantage, un peu plus que d'habitude. Il écouta le silence dont il entourait ses évolutions dans la société. Il écouta les voyages en train qui l'emmenaient à toute vitesse vers des salons et des rencontres. Il écouta peu à peu les envies qui pointaient leur nez, qui osaient ouvrir la bouche, doucement, entrouvrir pour découvrir patiemment la suite des idées, la suite des événements...
Il prit le stylo et écouta sa danse, difficile, sur le papier bon marché qui provoquait un léger grincement. Il traça les lettres qui se muèrent en écriture.
DR

mercredi 11 mars 2009

elle (2)

Elle se penche à la fenêtre. Un homme s’est baissé pour ramasser la pelote. Elle sourit un instant, imaginant qu’elle aurait pu l’estourbir, à quelques centimètres près. Elle pense ce mot, estourbir, et se rend compte qu’il est vieillot et qu’elle ne l’utilise jamais. Elle voit l’homme s’éloigner, la boule rouge dans la main et ce geste lui donne à croire quelques secondes que peut-être, c’est un signe. Elle a toujours été sensible à ces signes qui viennent parler dans le silence des choses et des êtres. Elle s’attache à regarder où les feuilles s’envolent l’automne, elle observe les nuages et décrypte leur langage, elle compte les marches des escaliers et sait que si le nombre est impair, elle a une chance de trouver des portes ouvertes. Elle aime le 11, qui l’accompagne depuis son enfance, c’est son compagnon de route, quand il se présente, elle a confiance. Tout en pensant cela, elle se rend compte qu’aujourd’hui est le 11 du mois de mars. Elle hausse les épaules, referme la fenêtre, tourne la poignée de métal rond et blanc, vieil ouvrage du siècle dernier. Elle range la boite à pulls sur le dessus de l’armoire, passe sa main sur son édredon, caresse qui vient redonner son gonflant aux plumes, et sort de sa chambre. C’est l’heure de se faire un thé. Toutes les heures sont des heures à thé se dit elle. A nouveau ses pensées l’assaillent, elle tente de les faire fuir, passe ses mains sous l’eau comme pour se laver de ce trop qui la déborde, passe l’éponge sur la table, propre, pour balayer ce qui la submerge, mais elle sait que ces subterfuges ne changeront rien. Choisir son thé, à cette heure de l’après midi , elle aime "vie éternelle", son goût blanc, ses fleurs bleues. Elle fait chaque geste de sa cérémonie, avec lenteur et justesse. Echauder sa théière de fonte, la préparer avant de déposer deux cuillerées de ce thé, recouvrir d’eau, attendre, 3 minutes, a écrit le marchand sur le sachet . Sortir la petite passoire, la déposer sur la coupelle de porcelaine, (un homme un jour la lui a offerte, c’était dans une petite boutique du centre de la France, il lui avait tendu l’objet en murmurant qu’il avait envie de faire un cadeau à une inconnue, parce qu’il était heureux. Elle avait aimé ce geste et depuis lors y déposait le thé infusé, plusieurs fois par jour). Rincer sa tasse, à l’eau chaude, faire couler le liquide brulant en levant la théière un peu trop haut, à la marocaine. Fermer les yeux et boire, en espérant un moment de répit, sentir la chaleur dans son ventre.
JB
...ensuite, il marcha jusque vers la gare où il demanda à un taxi d'avoir la gentillesse de le ramener chez lui par le plus court chemin. Les immeubles qui venaient s'écraser sur sa vitre osaient parfois être éclairés et dévoiler ainsi la présence d'autres vies que la sienne. Il avait posé la pelote à côté de lui et un coup de frein à un feu rouge impérieux la fit rouler par terre. Il se baissa, la chercha des doigts, la reprit fermement et la cala cette fois dans le creux du siège presque sous le dossier. Tant de soin pour rien, songea-t-il ; et ces derniers mots réveillèrent les circonstances de la rencontre et le replongèrent dans des pensées éparses qui se cognaient elles aussi au carreau. Tout dansait, les fenêtres et les immeubles du dehors, les souvenirs du dedans. Le taxi s'arrêta de nouveau, devant sa porte cette fois-ci. Il sortit avec sa pelote, et paya (il fallut chercher dans les poches et imaginer où poser la pelote, sous l'oeil étonné et moqueur du conducteur, qui décidément aurait tout vu). Enfin il put se diriger vers son appartement situé au deuxième et dont l'unique verrou qui fonctionnait mal était la meilleure garantie contre toute attaque extérieure. Parce qu'il suffisait pour ce soir d'avoir été attaqué par une pelote, toute métaphorique qu'elle fût.
La douceur des pantoufles, le moelleux du fauteuil, la chaleur de la couverture, et la douceur de la lumière lui permirent de reprendre ses esprits et de se rappeler qu'il avait bien mieux à faire que de tourner dans les rues. Mais s'il avait tourné dans les rues, c'était pour se signaler aux idées, bien sûr, des idées de métaphores photophores. Souvent l'idée juste lui venait quand il contemplait un peu sérieusement le bois flotté de sa lampe, bois flotté que sa femme partie, enfuie, envolée, délivrée, tout ce qu'elle voulait, que sa femme partie avait fabriqué sous son oeil étonné et moqueur, sous son oeil stupide de celui qui ne comprend rien ou bien toujours après c'est-à-dire trop tard. Ce bois flotté, oeuvre d'art de la nature vraiment imaginative et pleine de ressources, avait le poli et la couleur qui convenaient à ses divagations.
Il devait finir ce travail ce soir et rien n'avançait, bien sûr ; après le troisième thé, il s'assit lourdement à son bureau, bailla fort, prit son plus beau stylo, enfin, celui qui devait écrire le mieux, et s'apprêta à tracer des mots, les mots, ceux qui sont si beaux et qu'on voudrait savoir par coeur pour les retenir en soi et s'en servir comme de prétextes à vivre .
Mais il se souvint exactement à ce moment-là de la pelote.
Ah, décidément, cette pelote... Et où est-elle d'ailleurs ? Comment se fait-il que je n'y aie pas prêté plus d'attention ? Ah oui, le bois flotté, le thé, ma femme, mes pantoufles, mes idées, mes prétextes...
Rassemblons nos objets : du bois flotté ramassé par une personne qui ne veut plus le voir (le bois), la pelote lancée par une personne qui ne veut plus du vêtement (je suppose), une tasse de thé en verre (aux rondeurs qui plaisent aux femmes qui justement boivent du thé -vert- pour perdre un peu les leurs), une cuiller (rien à en dire), mon stylo acheté chez la libraire chez-qui-je-n'irai-plus-jamais.
Il faudrait à ce stade progresser davantage.
DR

Suivre le fil

Ce sont des images lointaines et colorées qui se déversent avec la régularité de la vague toujours différente et toujours semblable, à présent... Le fil tiré déroule peu à peu des images qui se font sensations éloquentes ... que peut-il se passer si ce n'est être sensible à ce décor insolite, gras et mouillé, calque sur les couleurs ardentes rappelées et rêvées? Confusion des images qui tracent dans la mémoire à venir des routes parallèles. C'est parce qu'il a pris la route, rue après rue, malgré la pluie et la nuit, suivant les aléas des trottoirs, au hasard, au gré du vent et du sentiment, plongé dans la pensée, qu'il a pu recevoir ce coup, ce choc, cette confusion et mêler à toute vitesse des images dont la fusion réalise un moment intéressant. Alors remontent le vert des larges feuilles, la boue rouge des chemins de terre, la chaleur dense et étouffante qui transforme les bords du réel, la couleur de la mer à la régularité sécurisante mais aux grondements inattendus, comme la trajectoire de ce fil. Et la pelote à la main, le voici qui progresse désormais vers un avenir nourri de ces images, nourri de ces présences, nourri de toutes ces toiles, étoiles de mer venues jusqu'à lui, non pas pour rien, pour rien, mais pour regarder les murs qui s'élancent en silence, écouter le vent serpenter dans les barreaux qui interdisent, dérouler son pas au hasard du regard, sentir sa présence dans sa transparence et sa légèreté, poser pas à pas ses pieds bien à plat, déposer la charge et se nourrir de tout cela. Et ce sera déjà bien.
Delphine Regnard

dimanche 8 mars 2009

C'est au moment précis où le coup l'atteignit qu'il se rendit compte qu'il marchait depuis quelque temps sans bien regarder autour de lui, de façon nonchalante et automatique... Même les petits hommes rouges ou verts ne l'avaient pas perturbé jusque-là, pas plus que les nombreuses flaques qui devaient, forcément, redessiner les motifs premiers de son pantalon. Et puis ce retour à la réalité, inattendue et violente provoqua en lui, en même temps que le geste pour porter sa main à son crâne, un flot de sensations et de réflexions désordonnées ... Serait-ce la main de la fameuse statue de Mytis qui vient, enfin, me rappeler à mon triste sort de mortel ? non. Je n'ai pas commis de forfait particulier ces derniers temps. Alors, un mauvais roman qu'un lecteur un peu sérieux et courageux aura jeté par la fenêtre ? non, pas de trace de la moindre feuille ... Une canette déformée jetée au hasard du vent pour en écouter l'effet sonore à défaut d'en avoir goûté l'effet bienfaisant ? Non plus... Alors, il chercha des yeux sur le trottoir, luisant, forcément, on vient de dire qu'il y avait des flaques donc il avait plu récemment, peut-être même pendant la promenade de ce monsieur au pantalon dégouttant, et dégoûtant tout autant, alors, il chercha des yeux l'objet insolite qui pouvait avoir eu cette force de conviction, cette force de persuasion aussi, cherchant à lui démontrer l'intérêt de sortir du vide de ses pensées, il le chercha, le trouva, la vit.
Il la vit, mais ne rougit pas, ne changea à vrai dire pas de couleur. Non, il changea d'humeur, mais de l'intérieur, à part lui.
Il vit cette pelote rouge jetée à toutes forces par quelqu'un qui, il l'entendait après coup, quelqu'un qui criait que tout ça c'était pour rien, pour rien. Et la conjonction avec Mytis se fit lumineusement dans son esprit. Oui, mieux que le bras vengeur de la victime, c'était le bras vengeur d'une autre victime, mais totalement indifférente et étrangère à son histoire, qui avait rejoint sans le savoir le fil de sa propre vie en tâchant de se débarrasser -rageusement ? - du fil, rouge, de la sienne.
Alors, toute la dimension tragique de l'existence lui apparut, sur ce trottoir détrempé, luisant, dans son pantalon recomposé, les bras ballants, la main refermée sur cette pelote honnie. Que peut-il se passer ensuite dans l'existence quand on se tient seul sur un trottoir mouillé, dans une rue ignorée, une fois toute la pluie du ciel tombée, et à verse, que peut-il se passer ensuite dans l'existence lorsqu'on a une pelote de laine rouge à la main qui de toute évidence ne mérite pas qu'on la ramasse ?
Que peut-il se passer ?

Delphine Regnard

samedi 7 mars 2009

Elle (1)

Elle détricote un vieux pull qu’elle a retrouvé au fond d’un carton. Elle ne sait pas ce qu’elle va faire de cette laine qui frise, elle n’a jamais su tricoter et a peu d’habileté pour ces choses là. Elle détricote pourtant avec attention, forme une boule qui s’arrondit, se gonfle, au rythme où le pull disparaît. Elle s’est installée devant la fenêtre de sa chambre et lève la tête par instant pour observer l’air du dehors, dans la transparence du jour, blanc. Elle a trouvé le geste, sa main gauche défile le chandail, la droite forme la pelote dans une danse régulière. Sa tête dodeline dans le même mouvement, son corps tout entier se concentre dans cet acte qui n’a aucun sens pour elle. Elle détricote, et sa pensée s’accorde à ses doigts, ressassant le même cheminement, enroulant les mots les uns sur les autres, jusqu’à en faire une boule ; elle ne sait que faire de cette pelote là, mais sa tête se vide et s’allège, au moins tente t’elle d’y croire, elle pense peut-être que le pull disparu, elle pourra jeter les deux pelotes à la corbeille, ou bien les donner a la croix rouge, pour une nouvelle vie, ailleurs, loin d’elle. Mais il est probable qu’elle ne songe pas encore à ce qui va suivre tant elle est prise par l’enroulement lent et régulier des deux fils, le haut de son corps balance doucement comme emporté par la musique du silence, ses paupières s’alourdissent sans pour autant se fermer. Elle a trouvé la paix en elle, elle aurait cru cela impossible quelques heures plus tôt, avant de déballer ce pull dans ce carton posé sur l’armoire de sa chambre. Elle n’a pas connu cette absence depuis des mois maintenant, cet oubli d’elle-même, cette échappée. Elle aimerait que le pull soit infini, passer le reste de sa vie, devant sa fenêtre à détricoter son histoire. Arrive pourtant l’instant où elle attrape le bout, le dernier bout de laine. Geste interrompu. Déraillement. Ses yeux retrouvent leur vivacité, son léger vacillement prend fin, elle est freinée en plein élan et se trouve une seconde en déséquilibre, les muscles de son dos se tendent pour qu’elle retrouve son centre de gravité, l’immobilité. Sa pelote est terminée, sphère rouge dans la paume de sa main, elle apprécie la régularité de des contours, la tension du fil qui forme une boule compacte et ferme. L’autre pelote fait le chemin à l’envers se déroule plus vite qu’elle ne s’est construite, réintègre son corps et ses pensées. Tout lui revient en mémoire. Alors, elle ouvre la fenêtre, jette avec force la boule de laine rouge. Tout cela n’aura donc servi à rien prononce t’elle à voix haute, à rien.
Julia Billet

vendredi 6 mars 2009

Description éclatée

Tape sur le maillet belle enfant nue
Allongée au pied de ses dents
Tu couvres tes yeux te dévoiles à sa vue
Mais il ne peut pas cacher l'aimant

L'eau si calme pour ces chevaux si brutaux
Empoisonne le regard et assèche le désir
Les clous plantés dans son oeil de caveau
Saignent sur une joie de plaisir

Tout si sombre mais tu la vois
Le muscle se tend puis se déchire
L'ongle râle les cordes de ta voix
Qui avale le serpent prêt à sévir

La roche s'émeut et se fendille
Des poussières étouffantes s'exhalent
Entourent le buste qui scintille
Se fatigue s'endort devient sale

Gris de colle d'eau jaillissante
Le temps se case dans le crochet
Le sol est si froid et l'aube finissante
Couvre le corps déjà vieux et défait

Ah si seulement nous pouvions vivre

(Devant L'Apothéose d'Homère de Dali, on écrit de ces choses turbulentes et éreintantes...)

Delphine Regnard

jeudi 5 mars 2009

de l'écran blanc (suite)

Ecran blanc duveteux qui accueilles les plumes éphémères et légères de réflexions aériennes, tu es plus lumineux que ce ciel faussement laiteux.
Ecran, les lignes que tu traces portent le regard au-dehors et transforment la réalité du monde. La continuité proche et approximative des lignes tisse la toile en texte prétexte à toute découverte. Epaisseur et couleur. Et valeurs.
Le cadre restreint de l'écran sécurisant l'appréhension du monde, concentrant le regard, approfondissant la réflexion, fertilisant l'imagination, fonde la rêverie et la contemplation, le retour à soi et aux autres par écho et contamination.
Petit cadran qui fais lever les mots comme les coquelicots du pré, sans s'empoisonner, trace les lignes de lettres infligées au clavier. Trace-les et oublie-les dans ta nouvelle page, dimension nouvelle à donner aux mots à transformer en écriture puisée au fond de ton moelleux.

lundi 2 mars 2009

de la chambre d'hôtel (suite)

de la chambre au lit, à peine un pas, ôter ses chaussures, sans fioriture, laisser glisser sac et manteau à terre et tater du moelleux du sommier en tombant de sa hauteur, apprécier la dureté apparente ou bien la mollesse sirupeuse, je cherche l'oreiller, important l'oreiller, déterminant pour le début de nuit, pour le sommeil aussi, le bloque sous ma nuque si trop ferme si trop creux, je cherche déjà le deuxième , voire celui de l'armoire, faire mon nid, coucou voyageur, arrache le drap coincé au cordeau sous le matelas, façon légion étrangère, j'ai horreur des lits trop bien faits, des draps glacés sans un pli, j'aime le desordre des lits des lendemains, le froissé de la nuit, l'infime parfum du corps qui s'est tourné et retourné par trop de chaleur ou de solitude ou de débordements, le voile de sueur sous la taie, les cheveux effilochés qui griffent la blancheur du lit, mais avant le matin, le lit garde la trace de la rigueur ménagère et la couverture caramel accepte difficilement de se laisser plisser, encore tendue, tirée impéccable et rèche , pas facile à amadouer la laineuse, je démonte, démantèle, tiraille de chaque côté, mais seul le corps de la nuit la vainc, anéantit la raideur feutrée, la couverture ne cache plus au petit matin l'anonymat du non lieu, elle découvre le reste d'humanité d'une femme déjà debout, sous la douche jamais assez chaude
Julia Billet

dimanche 1 mars 2009

Chambre

Assis sur le lit, je regarde par la fenêtre de cette chambre d'hôtel ; la vue sur le monde est déformée par l'anonymat ambiant des choses. Table et tablette introuvables ailleurs qu'ici, lampe dont on ignore la fonction réelle, rideaux qui servent davantage à cacher le dehors que le dedans, et surtout la fameuse zone industrielle dont le simple nom fait apparaître des plaques de grisaille sale. Et pourtant, toute ma réussite se résume et s'illustre dans cette chambre d'hôtel. Assis sur le lit, je ressens les lignes qui parcourent ces images et qui me traversent et me découpent ; je suis assis dans un ailleurs de hautes murailles opaques et foncées dont rien n'appelle à la rêverie.
Et pourtant, je rêve.
Je rêve de mangas en noir et blanc qui emportent dans un quartier lointain. Loin de mon espace naturel, dans ce quartier de moi découpé en vignettes. C'est ma vie qui s'éparpille dans ces objets iconoclastes, c'est ma vie qui perd son tout dans ces visions étranges et surprenantes.
Et c'est la rêverie qui me prend par surprise.
Je rêve dans le vague, dans l'anonymat du parcours, me laisse aller à ce rien qui flotte et qui m'environne, qui permet d'escalader par degrés les étages du passé ; et je monte, et je grimpe, et je me dirige au hasard, sans rien voir, sans m'attacher au flou des souvenirs. L'absence de couleurs laisse place aux couleurs des morceaux du passé ; l'absence de présence humaine laisse place aux êtres présents, à la présence des êtres passés ; l'absence de bruit rappelle une à une les musiques anciennes, les antiennes de nos muses ; l'absence de tout permet au rien de prendre place et forme et relief et intérêt.
Je peux à présent recomposer ce passé morcellé qui me compose jour après jour, la contemplation des morceaux épars permet la reconstruction, la réhabilitation de soi-même.
C'est assis sur ce lit que je restaure toutes les images de ma vie.
Les choix sont faits.
Delphine Regnard

samedi 28 février 2009

la chambre d'hôtel

1er ou 2ème étage, je prèfère monter à pieds, couloir en enfilade, portes où s'inscrivent en lettres dorées (ou noires) un numéro, encore plus loin, hésiter, compter 28, 29, la 35 est juste après l'angle du couloir, glisser la clé, la clé n'entre jamais dès la première fois, il faut forcer un peu, tenter l'autre sens, quand elle s'enfonce enfin, je peux tourner, pousser la porte 35,(ou 23 ou 36) chercher la lumière à main droite, appuyer sur l'interrupteur, être surprise comme à chaque fois par l'intensité de la lumière crue, éviter le miroir juste après la salle de bain, le lit, inévitable lui, en plein milieu, le bureau, la chaise, le rebord de fenêtre, les deux appliques murales, au dessus de la tête de lit, la moquette rasée, la douche carrelée de blanc, les trois serviettes impeccablement pliées sur le porte-serviettes, le repose-valise, la télévision, sa télécommande sur la table de nuit, l'oreiller supplémentaire dans l'armoire ouverte, posé sur la couverture caramel, cette chambre là, comme toutes les autres, tellement comme les autres, un non lieu, un lieu absent à lui même, dupliqué en mille autre lieux, clooné jusqu'à ne plus exister en tant que tel. Une nuit, ou plusieurs nuits dans cette chambre, absorbe l'idée même du lieu, dormir revient à être nulle part, dans un entre deux solitaire où le couvre lit gaufré beige couvre le drap rèche, engoncé, tiré sans un pli par dessus une couverture laineuse, se glisser entre ces draps, forcer le passage pour ne pas rester étrangère à ce lit là, froid et raide, je froisse les tissus, tourne et retourne les deux oreillers que je pose l'un sur l'autre, j'ai un tour d'avance, je sais déjà tout de cette chambre , je l'ai rencontrée des dizaines de fois, je connais ce sentiment d'être personne dans une chambre de nulle part, j'ai tant de fois déjà cherché ma place dans cet espace, cette île au milieu de rien, plantée à l'identique, comme les rangées de pins dans les Landes; nuit à demi -éveillée pour ne pas perdre le nom, la part de l'ombre, juste assez endormie pour ne plus savoir où je suis, là ou ailleurs, regretter de ne pas avoir entrouvert la fenêtre, je me lève, l'ouvre, trop chaud, le radiateur est à fonds, impossible de baisser la température, reviens me coucher, pense et me retourne, je ne sais bientôt plus où je suis ni pourquoi ni comment, être ici et nulle part ailleurs, pour cette nuit, et une autre encore, m'apaiser de ne pas être quelque part, de ne rien devoir, d'être seule avec moi, là, dans un lieu qui n'existe pas

mercredi 25 février 2009

entre blanc et bleu, juste un bout du ciel, et quelques lettres vagabondes qui s'octroient le droit de passer de l'un à l'autre, sautant le pas, sans hésiter un seul instant, c'est un peu comme ça, les histoires de mots sensibles aux airs de blues, aux lèvres entrouvertes, aux larmes prêtes à naître, ils se penchent un peu trop en rebord de fenêtre et basculent l'air de rien au son d'une chanson, tombent d'un coup comme des pierres et au dernier moment, juste avant de se casser la gueule, ils pirouttent et choisissent de prendre quelques couleurs, ca va du bleu au rouge, ce qui leur demande dans ce cas une sacrée galipette, mais les mots sont sacrement sportifs, vifs et même vivaces, on ne peut pas leur en remontrer, même quand on y met de la mauvaise volonté, avec eux, pas possible d'avoir le dernier
Julia Billet (petite fugue)

mardi 24 février 2009

Ecran blanc

Elle s'est levée du pied droit, est sortie de sa chambre du pied droit aussi, bien adroitement, et a ouvert le placard pour y contempler le programme de la journée : la rondeur et l'espace du bol pour y déverser toutes les activités, le plat de l'assiette pour se poser et se reposer, le haut du verre pour recommencer à s'activer, les linéaments des planches pour écrire sur l'écran blanc de la toile.
Ecran blanc de la toile qui se tend et se détend au fur et à mesure que l'écriture s'installe.
Inventer la matière et la manière.
Rester sensible au déploiement des mots.
Chercher en quoi le blanc de l'écran plaît autant.
Chercher en quoi l'écran blanc rayé de noir est aussi intéressant, réjouissant...
Assemblage de la raideur d'une serviette blanche au restaurant, de la métaphore de la couleur dans le col, de la peau qui se dessèche, du cheveu qui se réduit à cette teinte, de l'éclat de la page...
Se suspendre au blanc de l'écran, au noir des mots, à l'infini de leurs possibles, conjointement...
Delphine Regnard

lundi 23 février 2009

Puiser dans l'écriture ...

ce que les mots ont à offrir ...
C'est le moment blanc de la faiblesse qui me fait verser du thé chaud, brûlant, aromatisé ... Thé et bois flotté pour apaiser une douleur qui virevolte, qui joue, qui s'amenuise puis se renforce... Thé versé dans cette tasse aux rondeurs réjouissantes et prometteuses, dont on enserre délicatement la surface pour s'imprégner déjà de la chaleur...Les mots sont simples pour ce geste simple... Et cette écriture qui ramène sans cesse et douloureusement à l'univers causal dans lequel on résiste et on prend formes et couleurs... Thé chaud, qui coule, à la surface du sol des mots dont tu m'as fait découvrir le plancher pour poser mes pieds, bien à plat, m'enraciner dans ce sol qui doit me porter, et qui peut gronder, il faudra qu'il me porte (merci Musset et merci Nadine). Et le liquide chaud qui coule m'entraîne dans son ruissellement vers les profondeurs où j'irai, en alternance, comme Déméter, te chercher, toujours, oeil de ma vie, soleil absent de tout banquet... Et s'il faut user les lettres du clavier pour faire dégringoler dans ce gosier tout le thé chaud chargé de larmes sucrées pour redessiner ce passé qui ne fait qu'appeler le passé à venir, alors embarquons sur ce plancher maritime... Déméter, je pense à vous ! ce thé chaud, brûlant, aromatisé, ne sera pas ce petit fleuve, mais j'attends de t'embrasser ...
Delphine Regnard

samedi 21 février 2009

Points de suspension



Gaëlle Chauvineau
"Seuls les mots peuvent, à la longue, se délivrer en nous de ce fort secret qui fait que, possédé d'eux, notre être s'en trouve agrandi plutot que comprimé, affranchi plutôt qu'assujetti" (Marcel Moreau ds Oraisons charnelles et autres prières des corps en sens inverse du ciel)
Je suis entrée ce matin en lecture, propulsée dans une langue qui sans concession aucune, dans une exigence poétique et politique, vient creuser le sens de l'écriture, bien au delà de toutes les évidences. Ca secoue, c'est beaucoup d'un coup, bien trop et c'est dans cet excès de phrases que j'ai pris quelques mots, les ai glissés dans ma bouche, les ai gardés un moment pour en gouter le suc, la force, l'amertume, le retournement, le détournement. Je suis encore sous le choc des mots, j'y retourne pour saisir des bribes de cette pensée . A suivre...
Julia Billet

vendredi 20 février 2009

Et puis s'asseoir

Et puis s'asseoir... oui, prendre ce temps-là, de façon nécessaire... c'est dans la phase de récupération que s'accomplit le progrès ; accomplissement de soi dans tout son déroulement ... se sentir et se ressentir pour réussir à s'envisager, calmement, bien en face... S'inscrire dans une durée qui n'a pas de fin déterminée mais qui a une fin quand même, et c'est cette fin qui construira ce que nous fûmes... Alors, quand le corps a cavalé après des chimères inextricables, que construit-il en retour ? Quand le corps a cette sensation de faiblesse au creux du ventre, que construit-il en retour ensuite ? Et quand il faut s'asseoir et regarder et apprécier et méditer, que construit-on, ensuite en retour ?
Et l'on court, encore, vers la phrase de récupération...
Delphine Regnard

ou bien fouler le sol (des mots) avec lenteur, poser ses pieds bien à plat, en prenant soin de les planter jusqu'aux racines, ralenti qui découpe chaque instant du geste en mille objets alanguis, arrêter la course pour observer l'infime mouvement, d'un battement de cil sentir le vent souffler sur les phrases en construction, ne plus bouger, se laisser penêtrer par la lumière du dehors qui vient se polariser sur quelques lettres désordonnées, rester en suspend, suspendre sa respiration, apnée plongée dans les fonds sous marin, dans les fosses de la terre, dans l'ossature des mots, de ce qui les précède, trouver l'immobilité absolue, oublier la course, le rythme et ouvrir sa focale sur ce qui se présente, ce qui saute aux yeux quand on les ouvre grand quand on accepte que l'invisible prenne sa place, enrobe l'univers de ses tentacules tranlucides, se laisser traverser par l'indéfinissable absence du verbe, et pétrir cette matière là avec délicatesse, douceur, en prenant le temps de toucher caresser et s''empreindre, du silence

Julia Billet (pas très sportive...)

mercredi 18 février 2009

Efforts

La course se poursuit sur un pont de bois, fragile, qui vibre au moment où il montre le chemin qui ne mène nulle part ailleurs que vers soi-même ; on s'aperçoit facilement dans l'eau si l'on s'y penche... Mais pourquoi le faire ? N'est-ce pas pour effacer son corps que l'on cherche à courir ? Une espèce de bataille dérisoire et vitale à la fois où il s'agit de se construire et de se modeler et de se trouver dans le détail du muscle inespéré, en travaillant sur l'effort et la douleur... Ne pas se pencher dans l'eau mais bien imaginer de l'intérieur le rythme ondulatoire et saccadé à la fois du corps qui se construit à angles aigus dans la recherche sans cesse de la seconde... Une feuille, d'un vert trop rapide, là ; un oiseau qui se pose, là-haut... Non, plusieurs... Leur nuée est réconfortante. Une odeur, ici, prendre son souffle pour ne pas la respirer car elle est désagréable et il faut ensuite plusieurs mètres pour s'en défaire, des kilomètres d'effort pour s'en détacher ; un monticule d'herbe plus loin, sous le pied, la cheville s'articule et le prend en compte et transmet au reste de la jambe, et une flaque grise juste à proximité ; une grille dangereusement entrouverte pourrait ralentir le geste au moment même où le corps s'apprête à rejoindre sa seconde ... Et puis encore la boue qui colle, adhère, la faute à la colle de cette boue si la seconde est partie sans nous... la seconde au pied de ce poteau, partie ... Repartir vers la prochaine seconde, qui doit arriver au pied exact du poteau, là où son arrête est saillante sous le projecteur ... Et puis le coin à envisager avant de le dépasser... Légère torsion du corps, et magie de la locomotion ; le corps répète exactement les mêmes gestes, exactement au même rythme, exactement au même moment... Un bourdonnement devient sonore... peut-être une voix qui encourage ou ses propres pensées qui dominent à présent le corps qui cavale vers lui-même, vers la seconde à atteindre, symbiose de dimensions multiples...lieu, temps, corps ...
Encore un effort ...
Delphine Regnard

Respirations

Il faut expirer fort pour pouvoir inspirer ensuite... Dodeliner de l'écriture, tirer sur les mots et taper les lettres, lever haut les membres pour qu'ils se délient enfin, suivant les contours et détours de la phrase... S'engloutir doucement dans l'épaisseur de l'effort et quitter la réalité pour mieux s'y coller. L'effort et ses contraintes conduisent au plus près de la sensation qui devient création, naturellement. C'est la distance qui convient qui est dure à trouver ; les battements du coeur suivent toujours.
Dépasser c'est d'abord être dépassé, par soi, par les autres, par la pluie qui rafraîchit, par le vent qui joue, par la boue qui adoucit, par l'espoir du parcours accompli. Devoir intérieur, contrainte que l'on s'impose de soi-même parce qu'elle s'impose d'elle-même, parce qu'elle devient la seule à valoir quelque chose... quelque chose qui dure et qui faire devenir dur... Cette aventure intérieure devient forcément aventure en nature, grandeur nature, où l'autre n'est pas adversaire mais étalon.
Alors commence l'écriture... Il faudrait d'abord s'attacher à décrire longuement les mouvements en suspension qui alternent et qui s'enchaînent pour pouvoir faire sentir l'effort dans sa dimension la plus belle. Les doigts qui s'écartent légèrement car le cerveau perd légèrement leur contrôle, les mains qui semblent montrer un chemin intérieur, les bras qui cherchent à dessiner la distance, sans fin, l'oeil qui évalue le temps, le lieu, les personnages, le tronc qui tend toujours vers l'infini de lui-même, les abdominaux qui se contractent dans l'effort comme pour le retenir et le suspendre, les genoux qui ne montent jamais assez haut, les jambes que l'on finit par déplier quand enfin la danse est comprise, quand l'échauffement s'en mêle et apaise et huile et entraîne.
Respirer fort pour recommencer, encore...
Delphine Regnard

lundi 16 février 2009

Inspirer/expirer; Inspirer la grâce? Expirer le texte? s'inscrire dans un souffle divin, s'en saisir au bon moment...? Je, athée, n'y reconnais pas la trace, la genèse du texte. Quel fut le premier mot ? La première lettre ? Aleph, le taureau, celui qui procrée, qui engendre la vie, féconde les vaches à tour de bras ( à bras le corps ?, bref, vertement et délicieusement), dévide sa semence à l'infini des champs, sur la page blanche du premier livre? Aleph, le lieu où tout est possible,l'espace absolu de Borges, où chaque oeuvre a sa place, son origine? A moins que les lettres, que mes mots ne soient seulement des révélateurs, des faisceaux braqués sur ce qui existe déjà en magma, au dedans de nous ? Quelqu'un m'a écrit : Nous ne sommes que les passeurs dans l'ombre, qui tentons de faire émerger l'objet lumineux qui brille en nous
Cela me laisse songeuse aujourd'hui

Julia Billet
Dans cette démarche, il y a d'abord l'idée d'allègement et d'achèvement d'une idée ancienne et qui traîne. Une besace qui s'alourdit et qui me nourrit et qui se nourrit elle-même et d'elle-même ; elle doit permettre de transformer les sensations en notations ; noter pour désigner, faire signe et rendre le signe visible, compréhensible, pour qu'un chacun s'en empare, s'en nourrisse et s'en remplisse à son tour.
C'est le bois flotté, ramassé à Etretat, qui évoque pourtant d'autres lieux ; comment écrire sur cet écran aussi blanc une expérience aussi remplie de sons et de couleurs ? Partir sur ce sillon déjà tracé qui ramène à un passé qui ne cessse de se créer dans les méandres de l'oubli et de l'illusion.
Le bois flotté fait entrer dans cet atelier surchargé d'histoires et d'expériences, de recherches de l'objet qui satisfait, figuratif et apéritif, qui doit entrer en résonance. L'arrondi fixe la couleur et le motif, pour la beauté du regard éternellement. C'est donc un poisson gris, à la crête de coq, à la bouche en coeur, aux ailerons mignons, dans l'infini de la création en suspension. C'est l'artiste elle-même qui crée ses objets et qui s'exprime en paroles ; c'est le geste qui surmonte enfin le mutisme.
La rondeur et la douceur de la matière sont saisissantes ; la couleur grise est apaisante ; l'odeur de poussière de bois est émouvante et attendrissante. C'est alors que le mot se cogne à l'objet caisse de résonance ; c'est alors que la vibration fait sens ; c'est alors que la vision se confond dans ces expansions... C'est alors que commence l'écriture et que tout devient silence...
Delphine Regnard


dimanche 15 février 2009

Ecrire… au commencement était le verbe
Ecrire sur le sol des mots, en écho, dans la résonnance de la correspondance, que nos gestes s’appellent, dans la césure, à l’expan-sion baudelairienne de l’infini, que nos mots se répondent, se confondent, trouvent leurs limites, passent les bornes, se dépassent et se perdent pour chercher leur propre chemin, cheminement, que nos doigts saisissent le jaillissement de la matière, se laissent prendre par l’entièreté crue de la source sinueuse et glissante, entre les pierres et la terre, et le feu sous le sol, sous le sol des mots, profondément puiser et dessous des racines, plus loin que je magma, là où les mains ne savent plus ce qu’elles attrapent, les yeux fermés, sur le fil de la langue, dans le déséquilibre du sens et du son, sur l’infime espace où tout devient possible, retrouver l’essence de la lettre, à son pied, prendre la mesure de sa cadence et de sa danse ,la prendre à bras le corps, la lier la juxtaposer, la phraser, la laisser tomber sur la page blanche de l’écran, la rattraper et trouver sa lumière, la photo-graphier, trouver sa place dans le mot , celui qui là vient dire l’indicible, l’instant fragile où l’écriture force le passage à la vie, dans le cri d’être au monde, aux yeux et aux cœur du verbe écrire…Ecrire, en mots de suspension
Julia Billet

Description

Il faudrait commencer par suivre la ligne du canapé pour en saisir la couleur dans ses nuances et l'harmonie dans son ensemble. Cette ligne conduirait tout droit à la lampe située exactement dans son prolongement vertical ; le regard jouerait alors avec l'empilement de bois flotté qui en constitue le tronc et atteindrait sans effort l'abat-jour dont la teinte renverrait naturellement à la ligne de crête du canapé. Découlerait de cette vision une sensation de retrouvailles avec soi. Alors pourrait commencer l'aventure : le jeu consisterait à trouver des mots pour emplir les espaces laissés libres, pour dessiner le contour des objets de couleur, pour accentuer la lumière et voir jusqu'où elle emmène le regard, pour profiter de l'odeur à l'oeuvre. Resterait alors à découvrir la ligne de mots susceptible de nous y conduire.

Delphine Regnard