vendredi 13 mars 2009

silence (2)

Ce qu'il aimait dans ce geste, c'était de ressentir le son du stylo sur ce papier dont le grain faisait grincer la plume et ralentissait la main, et lui présentait la contradiction. Le geste prenait plus d'importance et de beauté que la fiction. Surtout, il se rendait compte qu'il était encore sensible à ce grincement, infime, lui qui peu à peu devenait infirme, se repliait dans son silence profond et intérieur parfois insupportable à en dévaler des kilomètres de rues.
Il fallait écrire, impérieusement, ces mots, pour trouver l'histoire qui permettrait de faire danser le phrasé des verbes inclassables. Le regard se promenait en vers sur la feuille, allers et retours dont la régularité de charrue assurait une paix bienfaisante. Mais les mots ne devaient pas se réduire à un processus d'apaisement, de déversement, de divertissement. Les mots avaient à construire aussi une histoire parallèle, calque et décalque de la réalité ressentie, perçue, analysée. C'est la pelote de laine transformée en lambeau qui lui avait redonné cette envie de tenir le stylo penché sur la blancheur de la feuille pour s'attacher à décrire l'arrête du canapé dont la couleur formait une harmonie avec le bois flotté de la lampe. Ou bien, il imaginait des scènes particulières pour des personnages éventuels : une fillette assise, sur un banc au petit matin, adossée au mur de pierres du grand-père, qui écoutait le rythme de la nature au lever du soleil alors que le paysage se découvre tel qu'en lui-même ; et cette fillette, pas encore capable de dévoiler à sa conscience ces sensations infimes et précieuses, était cependant à même de ressentir et d'accueillir le monde au creux de son ventre, de ses poumons, de son coeur ; et le mouvement en balancier des jambes accompagnaient l'éveil des alentours qui devenaient paysage, tout doucement. Elle jetait des miettes aux poules et fixait le mouvement sec et rapide des oiseaux venus picorer à ses pieds. Et le contraste entre le mouvement des cous et jambes et le lever de la nature lui était agréable à tracer sur ce papier sonore.
Delphine Regnard

2 commentaires:

  1. est ce qu'il va écrire l'histoire d'une femme qui détricote un pull et lance par la fenêtre...?
    JB

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  2. oh quelle bonne idée !! euh, pour l'instant il ne sait pas trop où aller. Il reviendrait bien sur ses pas ...
    DR

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