mercredi 18 mars 2009

Elle (4)

Ce matin, elle s’est éveillée en cherchant les derniers mots de son sommeil. Pas un bruit pourtant, elle ne se souvient, de rien. Elle a pourtant appris ces dernières semaines à guider ses rêves, à dompter les bouts de nuits qui veulent bien d’elle, mais là, ce matin, rien. Elle n’aime pas cette idée d’avoir échappé à sa surveillance, à son attentive attente, elle a tellement peur de s’égarer qu’elle voudrait être présente à chaque instant, ne pas perdre la main. Elle s’étonne malgré tout un peu, s’étire et se dit qu’elle est presque reposée, cela ne lui est pas arrivé depuis plusieurs mois. Les insomnies lui mangent ses nuits, s’allongent à ses côtés et la poussent au bord du lit ; elle a oublié qu’elle peut ne pas être fatiguée, dés le petit matin. C’est peut-être cet infime changement qui lui a donné envie de sortir aujourd’hui, de s’habiller, elle qui ne quitte plus sa djellaba rayée noir rouge bleu. Elle soulève le rideau, le soleil est déjà presque haut, déjà chaud. Elle s’anime, se brosse les cheveux dans la salle de bain , attrape sa robe rouge, la passe, cherche ses ballerines, les blanches, tire la porte, revient en arrière chercher ses clés, son sac à main et enfin, ferme la porte derrière elle. Elle dévale les escaliers, comme quelqu’un de pressé, elle l’est, dans le désir du soleil sur sa peau nue. Dans la rue, elle s’arrête un instant, s’immobilise, surprise par la lumière crue, la touffeur de l’air, hésite un peu sur la direction à prendre, elle ne sait plus pourquoi elle est descendue, ce qu’elle vient faire dans la rue. Elle tourne à gauche, songeant à l’homme qui a ramassé sa pelote. Elle ne réfléchit pas mais suit son intuition, et aussi l’air du temps. Elle ne se rend pas compte qu’elle n’a pas un instant, depuis son réveil, pensé à ce qui l’occupe depuis tous ces jours. Elle est en phase d’oubli et elle ne le sait pas encore. Elle marche d’un bon pas, suit le trottoir, marche encore, sans penser un seul instant qu’elle ne pense pas, qu’elle respire l’air, sans en avoir l’air. Il faudrait peu pour qu’elle chantonne, sauf que même à cela, elle ne pense pas. Elle marche tant, si vite, qu’elle s’éloigne de chez elle, qu’elle s’éloigne d’elle, pour la première fois depuis des semaines. Elle s’éloigne tant, que quand elle décide de s’arrêter, elle s’aperçoit qu’elle est perdue. Elle décide ne pas demander son chemin, pour pouvoir se perdre encore un peu, être désorientée, et ne pas retrouver son port d’attache
Julia Billet

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