lundi 30 mars 2009

Elle (5)

Cette incartade dans son emploi du temps si lourdement réglé depuis des semaines, marque pourtant un changement perceptible dans son présent. Sa peau a pris l'air de la rue, s'est empreinte du mouvement infime du soleil, ses jambes ont retrouvé le pas pressé qui l'emportait si souvent d'un quartier à l'autre sans respirer, l'hiver, dans l'envolée de son manteau aux boutons dorés. Elle a repris, sans même s'en apercevoir, le besoin du dehors, la légereté du ciel par dessus sa tête, le parfum des murs des briques asèchées , les pavés sous ses pieds. Même si son estomac l'a trahie, la rappelant à sa souffrance, cette douleur qui la tenaille, l'envahissement des mots disparus, la nuit l'a emportée calmement, dans le silence doux de l'épuisement. Elle se réveille differente sauf qu'elle n'en sait rien encore; Elle croit qu'elle va une fois de plus être sous le joug d'elle même, dans l'effacement du jour, au centre de son corps blessé, elle croit qu'elle va vaguer dans son appartement de la chaise à la chaise, sans autre but que de se laisser dépérir puisqu'elle n'a pas eu le courage de mourir. Elle croit qu'une nouvelle fois, elle se laissera bercer par la mélancolie, d'un thé à l'autre, emmurée dans son intérieur. Elle se trompe car déjà, quelque chose s'est insinuée dans la faille, un je ne sais quoi, un presque rien qui change tout . Elle ne s'en rend pas compte mais ce matin, elle a laissé l'eau couler sur ses cheveux avec une sorte de plaisir tranquille. Elle s'est habillée, à hésité entre deux chemisiers, elle qui ne prend plus le temps ni l'envie de sortir de sa djellaba rayée depuis tant de jours. Si elle était attentive, elle s'apercevrait qu'elle a ouvert la fenêtre et qu'elle s'appuie sur la rambarde du balcon, mais elle fait ce geste là sans même en prendre conscience. Elle s'accroche à la rampe de sa tristesse, à deux mains, mais la tristesse s'étiole dans l'infiniment jour, en filaments encore invisibles. Elle croit que rien ne bouge et rien ne pourra bouger mais elle se souvient de cet homme qui a ramassé sa pelote rouge et se demande s'il pourrait l'aimer. Elle bouge sa tête pour faire fuir cette pensée qui s'accorde si peu à son desespoir. Elle parvient à revenir à ce qui l'occupe tant, la perte de celle qu'elle croyait être avec tant de fermeté de foi de force et conviction. Elle parvient à soulever la vague qui la mouille et la réconforte parce qu'elle la souille : que deviendrait elle sans ses doutes, ses errances, qui serait elle alors ?
Julia Billet

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