samedi 7 mars 2009

Elle (1)

Elle détricote un vieux pull qu’elle a retrouvé au fond d’un carton. Elle ne sait pas ce qu’elle va faire de cette laine qui frise, elle n’a jamais su tricoter et a peu d’habileté pour ces choses là. Elle détricote pourtant avec attention, forme une boule qui s’arrondit, se gonfle, au rythme où le pull disparaît. Elle s’est installée devant la fenêtre de sa chambre et lève la tête par instant pour observer l’air du dehors, dans la transparence du jour, blanc. Elle a trouvé le geste, sa main gauche défile le chandail, la droite forme la pelote dans une danse régulière. Sa tête dodeline dans le même mouvement, son corps tout entier se concentre dans cet acte qui n’a aucun sens pour elle. Elle détricote, et sa pensée s’accorde à ses doigts, ressassant le même cheminement, enroulant les mots les uns sur les autres, jusqu’à en faire une boule ; elle ne sait que faire de cette pelote là, mais sa tête se vide et s’allège, au moins tente t’elle d’y croire, elle pense peut-être que le pull disparu, elle pourra jeter les deux pelotes à la corbeille, ou bien les donner a la croix rouge, pour une nouvelle vie, ailleurs, loin d’elle. Mais il est probable qu’elle ne songe pas encore à ce qui va suivre tant elle est prise par l’enroulement lent et régulier des deux fils, le haut de son corps balance doucement comme emporté par la musique du silence, ses paupières s’alourdissent sans pour autant se fermer. Elle a trouvé la paix en elle, elle aurait cru cela impossible quelques heures plus tôt, avant de déballer ce pull dans ce carton posé sur l’armoire de sa chambre. Elle n’a pas connu cette absence depuis des mois maintenant, cet oubli d’elle-même, cette échappée. Elle aimerait que le pull soit infini, passer le reste de sa vie, devant sa fenêtre à détricoter son histoire. Arrive pourtant l’instant où elle attrape le bout, le dernier bout de laine. Geste interrompu. Déraillement. Ses yeux retrouvent leur vivacité, son léger vacillement prend fin, elle est freinée en plein élan et se trouve une seconde en déséquilibre, les muscles de son dos se tendent pour qu’elle retrouve son centre de gravité, l’immobilité. Sa pelote est terminée, sphère rouge dans la paume de sa main, elle apprécie la régularité de des contours, la tension du fil qui forme une boule compacte et ferme. L’autre pelote fait le chemin à l’envers se déroule plus vite qu’elle ne s’est construite, réintègre son corps et ses pensées. Tout lui revient en mémoire. Alors, elle ouvre la fenêtre, jette avec force la boule de laine rouge. Tout cela n’aura donc servi à rien prononce t’elle à voix haute, à rien.
Julia Billet

2 commentaires:

  1. mais le fil
    du texte
    tissé
    grâce au tricot
    grâce à la pelote
    grâce à la laine
    aura permis ces mots sur la toile
    pour que l'on puisse, sans fin,
    les relire,
    sans fin, sans fin, sans fin...
    DR

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  2. le fil, oui, le fil...mais l'étiquette du vêtement ?
    Tandis que mon fils (c'est comme un fil avec une lettre plus sinueuse pour clore le mot) me tournait le dos,
    refusant de parler, je lisais l'étiquette de son pyjama
    enFILé à l'envers qui disait "8 ans" (c'est la taille plus petite que l'âge) et puis "tout simplement..." avec des points de suspension (c'est la marque).
    Tout simplement, quel dos éloquent.
    Un conseil de maman, écoutez le concert privé de Madeleine Peyroux sur le site de France inter, "sur la route" seulement jusqu'à dimanche prochain.
    bb

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